À 31 ans, Benjamin Mendy fait un choix qui interroge autant qu’il fascine. Le champion du monde 2018, dont la carrière semblait naufragée après ses déboires judiciaires et ses passages avortés à Lorient et au FC Zurich, pose ses valises à Pogon Szczecin avec un contrat qui fait sensation : 1,2 million d’euros annuels, soit 100 000 euros mensuels. Une rémunération qui le propulse au sommet de la hiérarchie salariale du championnat polonais et qui soulève une question centrale : ce pari financier audacieux peut-il vraiment relancer une carrière au point mort ?
#1 Un salaire XXL qui bouscule l’économie du football polonais
Le montant dévoilé par le Dziennik Lodzki place Benjamin Mendy dans une catégorie à part en Ekstraklasa. Avec 23 077 euros hebdomadaires et 3 288 euros quotidiens, le latéral français gagne davantage que la quasi-totalité des stars locales. Pour illustrer l’écart : Mariusz Fornalczyk, jeune espoir polonais du Widzew Lodz considéré comme l’un des talents les plus prometteurs du championnat, perçoit 480 000 euros par an – soit 2,5 fois moins que Mendy.
Ce différentiel salarial révèle une stratégie ambitieuse de Pogon Szczecin, club habitué aux investissements mesurés. En recrutant Mendy, le club de la côte baltique ne se contente pas d’acquérir un joueur d’expérience : il fait un pari marketing et sportif sans précédent. L’ancien Citizen devient ainsi l’un des transferts les plus médiatisés de l’histoire récente du football polonais, une vitrine internationale pour une équipe qui peine à franchir le cap européen malgré trois participations consécutives à la Ligue Europa Conférence.
Cette enveloppe financière questionne également la rentabilité de l’opération. Pour un club dont le budget reste modeste comparé aux standards des grands championnats, investir autant sur un joueur qui n’a disputé que huit matchs en deux ans (entre Lorient et Zurich) relève du coup de poker. Pogon espère-t-il des retombées commerciales suffisantes pour justifier ce salaire ? Ou mise-t-il tout sur une résurrection sportive improbable ?
#2 Szczecin : un tremplin stratégique ou une impasse dorée ?
Pogon Szczecin n’est pas un choix anodin pour Benjamin Mendy. Situé dans le nord-ouest de la Pologne, à quelques kilomètres de la frontière allemande, le club évolue en Ekstraklasa depuis 53 saisons sans interruption – une stabilité rare qui témoigne d’un certain ancrage institutionnel. Quatrième du championnat la saison dernière, Pogon représente une option à mi-chemin entre ambition européenne et anonymat relatif.
Pour Mendy, cette destination offre plusieurs avantages stratégiques. D’abord, la pression médiatique y est infiniment moindre qu’en France, en Angleterre ou même en Suisse. Après les traumatismes judiciaires qu’il a traversés – acquitté en 2023 de toutes les accusations de viols qui pesaient sur lui, mais avec une image publique durablement abîmée – le latéral français peut espérer retrouver une certaine sérénité. La Pologne lui offre un terrain d’entraînement moins exposé, loin des projecteurs brûlants de la Premier League ou de la Ligue 1.
Ensuite, le niveau de jeu de l’Ekstraklasa, bien qu’inférieur aux cinq grands championnats européens, reste compétitif et exigeant physiquement. Pour un joueur qui n’a quasiment pas joué depuis deux ans, c’est l’occasion de retrouver du rythme sans être immédiatement jugé sur chaque performance. Le contrat d’un an plus une année en option lui donne le temps de prouver sa valeur sans engagement définitif.
Mais cette opportunité comporte aussi un risque majeur : celui de l’enfermement. En signant en Pologne à 31 ans, Mendy s’éloigne encore davantage du radar des grands clubs européens. Si l’expérience tourne court, il sera difficile de convaincre des formations de niveau supérieur de lui donner une nouvelle chance. Szczecin peut donc être soit le tremplin vers une renaissance, soit le dernier chapitre d’une carrière brisée.
#3 Le fantôme de Manchester City face à la réalité polonaise
L’ironie du parcours de Benjamin Mendy saute aux yeux. Il y a sept ans, en juillet 2017, le défenseur français rejoignait Manchester City pour 57,5 millions d’euros, devenant alors le défenseur le plus cher de l’histoire du football. À l’époque, Pep Guardiola voyait en lui le latéral offensif parfait pour son système : technique, puissant, capable d’apporter le surnombre dans les phases de construction.
Aujourd’hui, ce même joueur gagne 100 000 euros par mois dans un championnat classé 24ème au coefficient UEFA. Le contraste est saisissant, presque cruel. Mendy est passé du statut de star mondiale – champion du monde, champion d’Angleterre à quatre reprises, vainqueur de la Coupe de France – à celui de pari risqué pour un club polonais de milieu de tableau.
Cette chute vertigineuse s’explique par une accumulation de facteurs. Les blessures chroniques aux genoux ont d’abord fragilisé sa carrière à Manchester, où il n’a finalement disputé que 75 matchs en six ans. Puis sont venus les problèmes judiciaires, avec une suspension par son club et une mise à l’écart totale du football professionnel entre août 2021 et son acquittement en juillet 2023. Deux années perdues, à l’âge où un footballeur doit confirmer son talent.
À Lorient puis Zurich, Mendy n’a jamais retrouvé son meilleur niveau. Les clubs qui l’ont accueilli espéraient une résurrection ; ils n’ont obtenu qu’un joueur diminué, physiquement et mentalement. Pogon Szczecin hérite donc d’un athlète abîmé, mais qui conserve une expertise technique indéniable. La présence de Kamil Grosicki, ancien joueur de Rennes et capitaine de l’équipe, pourrait faciliter son intégration. Grosicki connaît le football français et international ; il peut servir de pont entre Mendy et ses nouveaux coéquipiers.
#4 Un salaire qui pèse lourd sur les épaules
Le contrat de Benjamin Mendy à Pogon Szczecin n’est pas qu’une question d’argent : c’est un engagement symbolique. En acceptant de payer 1,2 million d’euros par an à un joueur de 31 ans sans matches dans les jambes, le club polonais exprime une confiance – ou une audace – rare. Mais cette rémunération place aussi Mendy dans une position délicate.
Il devient mécaniquement le joueur le mieux payé de l’effectif, ce qui génère inévitablement des attentes. Ses coéquipiers, qui gagnent parfois dix fois moins, observeront de près ses performances. Les supporters, eux, attendront un impact immédiat, des prestations dignes de son CV. Or, Mendy arrive en Pologne sans avoir prouvé quoi que ce soit depuis trois ans. La pression sera donc double : sportive et financière.
Du point de vue économique, ce salaire représente également un risque pour Pogon. Le club mise une partie significative de sa masse salariale sur un seul joueur. Si Mendy se blesse, s’il ne s’adapte pas, ou si son niveau reste trop faible, l’investissement deviendra un boulet. À l’inverse, si le pari fonctionne, Pogon pourrait non seulement améliorer ses résultats sportifs, mais aussi valoriser son image à l’international. Avoir un champion du monde dans ses rangs, même sur le déclin, offre une visibilité précieuse.
Pour Benjamin Mendy, ce contrat représente peut-être la dernière chance de prouver qu’il est encore un footballeur professionnel. À 31 ans, avec un passage en Pologne sur son CV, les portes des grands championnats ne se rouvriront probablement jamais. Mais retrouver du plaisir, enchaîner les matches, redevenir un joueur fiable : voilà des objectifs réalistes. Et si, à Szczecin, il parvient à jouer 30 matchs dans la saison, à afficher un niveau correct, alors il aura déjà gagné son pari.
Le reste – la rédemption totale, le retour au sommet – relève désormais du fantasme. Benjamin Mendy a choisi la Pologne pour se reconstruire, pas pour reconquérir le monde. À 100 000 euros par mois, il a les moyens de le faire confortablement. Reste à savoir s’il en a encore la force.

